Bien que privé, hormis quelques vestiges, de son abbatiale gothique, l’une des plus grandes et des plus belles de l’Ordre cistercien, le site de Chaalis garde un fort pouvoir évocateur. L’écrin que lui constitue la forêt d’Ermenonville, la beauté de son parc aux arbres plusieurs fois centenaires et du vaste étang qui le prolonge, le bijou architectural qu’est la chapelle de l’Abbé, du milieu du 13ème siècle, l’austère majesté de son palais abbatial du 18ème siècle et les trésors qu’il contient en font encore un lieu d’exception au milieu duquel, cependant, tel un reproche muet, le moignon de transept de l’abbatiale disparue semble prendre les visiteurs à témoin de la folie destructrice qui, parfois, s’empare des hommes.
Chaalis a pour origine un prieuré bénédictin fondé par Renaud de Mello au début du 12ème siècle. En 1136, le monastère est affilié à l’ordre de Cîteaux par Louis VI. Abbaye royale, Chaalis est, dès lors, richement dotée en terres dans toute la région et possèdera de nombreux celliers, moulins, granges – certaines existent encore – et des hôtels urbains à Paris, Beauvais et Senlis.
La mise en commende en 1541 au profit du cardinal Hippolyte d’Este amorcera le tournant d’une histoire qui connaîtra un dernier épisode marquant en 1736 avec le début de la reconstruction des bâtiments conventuels par J. Aubert, à qui l’on doit les Grandes écuries de Chantilly. Criblée de dettes, l’abbaye ne pourra assumer l’achèvement de ces travaux et ses biens seront même saisis en 1783. Dix ans plus tard, elle sera vendue comme bien national et l’église abbatiale démolie.
L’église abbatiale
Restée très homogène si l’on excepte la construction de chapelles au sud de la nef vers 1278, l’église abbatiale avait été commencée au tout début du 13ème siècle et consacrée en 1219 par Guérin, évêque de Senlis et chancelier de Philippe Auguste. Longue de 82 m et d’une hauteur sous voûte de près de 20 m, elle était comparable, par ses dimensions, aux plus grandes abbatiales cisterciennes gothiques de cette partie du domaine royal : Royaumont, Longpont, Ourscamp…
Son plan comprenait tout d’abord une longue nef de six travées doubles, couvertes de voûtes sexpartites retombant sur des piles alternativement composées (piles fortes) ou circulaires (piles faibles), sans doute inspirée de la toute proche cathédrale de Senlis. Deux travées de bas-côté correspondaient à une travée de nef et l’alternance des supports s’y retrouvait, comme on peut le voir dans la portion du mur nord encore conservée près du transept. Un porche précédait cette nef selon une habitude cistercienne (Pontigny, Longpont, Royaumont…).
Mais la partie la plus originale était l’ensemble oriental, composé d’un vaste transept avec chapelles aux extrémités, de plan polygonal, et d’un chœur, également de plan polygonal, mais d’un développement très restreint puisque dépourvu déambulatoire. Le bras nord est encore bien conservé. Sept chapelles, de plan carré pour les parties droites et pentagonales pour la partie tournante, viennent s’y greffer. Toutes reçoivent des voûtes sexpartites.
Les colonnes prolongeant les murs qui les séparent sont surmontées de chapiteaux garnis de crochets, d’une sculpture assez répétitive mais d’une grande qualité d’exécution. Les fenêtres hautes sont de simples lancettes. La nudité de la surface murale séparant les arcades de ces fenêtres est atténuée par une moulure qui, soulignant la base de l’ébrasement inférieur de la fenêtre, remonte de chaque côté pour retrouver le tailloir, avec lequel elle se confond, des chapiteaux recevant les branches d’ogives de la voûte de l’hémicycle. Très originale, cette disposition est d’un effet esthétique particulièrement heureux.
A l’extérieur, le plan à pans coupés adopté au niveau des chapelles permettait d’éviter l’écueil de toitures multiples. S’il n’ignore pas les sources régionales possibles que pouvaient constituer des édifices comme Saint-Lucien de Beauvais ou bien les cathédrales de Noyon et Soissons, qui comportent ou comportaient des transepts arrondis, le transept de Chaalis se réclame toutefois bien davantage du chœur de Pontigny, dont il est l’exacte transposition à la réserve près que, contrairement à son modèle, il ne comporte pas de déambulatoire. Les liens avec l’abbaye mère se trouvaient ainsi clairement affirmés jusque dans l’architecture.
Par ailleurs, l’église possédait une exceptionnelle série de tombeaux et pierres tombales d’abbés, principalement du 13ème au 16ème siècles et disposés, pour les principaux, autour du chœur, sous des arcatures. (D.Vermand, 1996)
La chapelle de l’abbé
Bâtie au milieu du 13ème siècle à quelques dizaines de mètres au nord-est du chevet de l’abbatiale, la chapelle de l’abbé communiquait avec celle-ci par l’intermédiaire de bâtiments aujourd’hui disparus.
Très simple dans son économie générale, elle se compose d’une nef de trois travées et d’une abside à trois pans. Comme les chapelles palatines, épiscopales ou abbatiales de ce temps, c’est une véritable cage de verre dont les immenses fenêtres, prenant appui au-dessus d’un mur de soubassement nu, occupent tout l’espace compris entre la voûte et les contreforts.
Parfaite illustration du gothique rayonnant, le réseau de ces fenêtres, d’un type qui se retrouve à Saint-Denis et à Troyes ainsi qu’à la petite église d’Angicourt, dans l’Oise, est constitué de trois ou quatre lancettes surmontées de trois oculi inscrivant des quadrilobes. Les chapiteaux associés aux voûtes sont disposés “à bec” et participent d’une recherche d’effets graphiques très poussés.
La chapelle a été l’objet d’une restauration drastique par les frères Balze, élèves d’Ingres, entre 1875 et 1881. La façade a été refaite à cette occasion, des gargouilles fantaisistes ont été ajoutées et l’intérieur à reçu un décor peint d’esprit néo-gothique. Les fresques de la voûte et du mur ouest, attribuées à Niccolo dell’Abbate, collaborateur du Primatice à Fontainebleau, puis à Bagnacavallo, doivent aujourd’hui davantage à cette restauration qu’au peintre italien. On y voit les Apôtres, les Evangélistes et des anges tenant les instruments de la Passion.
Propriété de l’Institut de France à la suite du legs effectué par son dernier occupant, Mme Jacquemard-André, le domaine de Chaalis ajoute à l’intérêt de ses constructions médiévales l’extraordinaire richesse des collections constituées par celle-ci (1996).
Chronologie :
Points d'intérêt :
Galerie :
Bibliographie :
- Louis GRAVES, Précis statistique sur le canton de Nanteuil-le-Haudouin, arrondissement de Senlis (Oise), Beauvais, Achille Desjardins, s.d. (1829).
- Abbé CHATEL, "Notice sur l'abbaye de Chaalis (Caroli-Locus), près Senlis (Oise)", Bulletin monumental, vol. 8, 1842, p. 137-144.
- Abbé Jean-Louis MAGNE, "Tombes des Evêques de Senlis, d'après le manuscrit de Gaignières : à Chaalis", Comité Archéologique de Senlis. Comptes-Rendus et Mémoires, 1864, p. 17-53.
- Jules FLAMMERMONT, "Recherches sur les sources de l'histoire de l'abbaye de Chaalis", Comité Archéologique de Senlis, Comptes-Rendus et Mémoires, 1876, p. 35-38.
- Comte A. de MARSY, "Les droits de l'Abbaye de Chaalis dans la ville de Compiègne", Comité Archéologique de Senlis. Comptes-Rendus et Mémoires, 1879, p. 13-16.
- GORDIERE, "Chaalis", Comité Archéologique de Senlis. Comptes-Rendus et Mémoires, 1882-83, p. 109-138.
- Chanoine L. PIHAN, Esquisse descriptive des monuments historiques dans l’Oise, Beauvais, 1889, p. 566-574.
- Abbé Eugène MÜLLER, "Vingt-neuf chartes originales concernant l'abbaye de Chaalis de 1155 à 1299", Comité archéologique de Senlis, Comptes-rendus et Mémoires, 1891, p. 25-48.
- Abbé Eugène MÜLLER, Senlis et ses environs, Senlis, 1894, p. 138-147.
- Ernest DUPUIS, "Les moines de Chaalis et Robert de Louis", Comité Archéologique de Senlis, Comptes-Rendus et Mémoires, 1897-1898, p. 59-67.
- A. DRIARD, "Les derniers jours de Chaalis", Comité Archéologique de Senlis, Comptes-Rendus et Mémoires, 1899, p. 33-45.
- Eugène LEFEVRE-PONTALIS, « L’église abbatiale de Chaalis (Oise) » Bulletin monumental, vol. 66, 1902, p. 449-487.
- Ernest DUPUIS et Gustave MACON, "Commelles", Comité Archéologique de Senlis, Comptes-Rendus et Mémoires, 1903, p. 1-68.
- Ernest DUPUIS et Gustave MACON, "La tuilerie de Commelles", Comité Archéologique de Senlis, Comptes-Rendus et Mémoires, 1903, p. 81-92.
- Léon FAUTRAT, "Notes sur Chaalis", Comité Archéologique de Senlis, Comptes-Rendus et Mémoires, 1919-1920, p. 1-24.
- Anselme DIMIER, « L’abbaye de Châalis », Oise Tourisme, n° 23, 1974, p. 28-29.
- Pierre-Jean TROMBETTA, « L’architecture religieuse dans l’ancien Diocèse de Senlis (1260-1400) », Société d’Histoire et d’Archéologie de Senlis, Comptes-rendus et mémoires 1971-1972, p. 42-44.
- Caroline A. BRUZELIUS, « The transept of the Abbey Church of Chaâlis and the filiation of Pontigny », Mélanges à la mémoire du Père Anselme Dimier, Arbois, 1982, p. 447-454.
- Claudine LAUTIER et Maryse BIDEAULT, Ile-de-France gothique, Paris, 1987, p. 127-135
- François BLARY, « Le domaine de Chaalis, XIIe-XIVe siècles. Approches archéologiques des établissements agricoles et industriels d’une abbaye cistercienne », Comité des travaux historiques et scientifiques, Mémoires de la section d’archéologie et d’histoire de l’art, III, Paris, 1989.
- Francis SALET, Compte-rendu de l'ouvrage de François Blary : Le domaine de Chaalis, XIIe-XIVe siècles. Approches archéologiques des établissements agricoles et industriels d’une abbaye cistercienne, Bulletin monumental, 1992-3, p. 286-288.
- Robert-Henri BAUTIER, « L’abbaye cistercienne de Chaalis à l’époque gothique », L’art gothique dans l’Oise et ses environs, Actes du colloque organisé à Beauvais par le GEMOB les 10 et 11 octobre 1998 (2001), p. 25-31.
- Robert-Henri et Anne-Marie BAUTIER, Chaalis, l’abbaye, les collections, Beaux Arts Magazine, hors série, 1994.
- Dominique VERMAND, Eglises de l’Oise. Canton de Nanteuil-le-Haudouin. Valois et Multien, Comité Départemental du Tourisme de l’Oise et S.E.P. Valois-Développement, 1996, in-8° de 32 p., p. 13-16 (voir texte ci-dessus).
- Laure ILEF, L’église abbatiale Notre-Dame de Chaâlis. Inventaire du dépôt lapidaire et état de la question , Mémoire de maîtrise, Université Lille III - Charles-de-Gaulle, Arnaud TIMBERT (dir.), 2004, 3 vol.
- Jean-Marc VASSEUR & Françoise MARENGO, "L'abbaye de Chaalis (Oise) et Jean de Montreuil (1354-1418)", Société d'Histoire et d'Archéologie de Senlis, Comptes-rendus et Mémoires, 2004-2005, p. 33-44.
- Jean-Marc VASSEUR, Abbaye royale de Chaalis, chapelle Sainte-Marie. Décors retrouvés de Paul Balze, élève d'Ingres, Groupe d’Etude des Monuments et Oeuvres d’art de l’Oise et du Beauvaisis (GEMOB), Bulletin n° 135, 2008.
- Jean-Marc VASSEUR, "1536-1550, l'irrésistible ascension d'Hippolyte "le Magnifique"", Société d'Histoire et d'Archéologie de Senlis, Comptes-rendus et Mémoires, 2010-2011, p. 79-93.
- Morgan HINARD, Maxime CHARTIER, Marie RAIMOND, Fontaine-Chaalis, Un terroir villageois entre Foi et Hommage, Histoire, Archéologie et Territoires N°2, Aquilon, 2021, 136 p.